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La cuisine des lumières - A la cour et chez les bourgeois -
La révolution française

 

Le XVIIIe siècle est hanté par l'idée constante de progrès. Celle-ci gouverne aussi bien la pensée que les arts. La cuisine n'y échappe pas.
Si le XVIIe siècle a été incontestablement celui du renouveau culinaire, le XVIIIe est celui de l'innovation et de l'ingéniosité : la cuisine devient une science et l'on n'hésite pas à parler de nouvelle cuisine pour l'opposer à l'ancienne.
Le temps d'une paix relative, de grands changements vont s'opérer dans les mentalités, le bon goût, l'art de recevoir, l'utilisation et la diversification des aliments, l'aménagement et la structure des cuisines.


Déjeuner d'huîtres
au château de Chantilly en 1735

La cuisine des lumières

  • Vers une nouvelle cuisine

Dans les grandes cuisines règne une querelle sans merci, qui divise toujours avec autant d'âpreté les Anciens et les Modernes. Pour ces derniers, seules comptent la simplicité et la pureté "naturelles".
En réalité, cette cuisine nouvelle exige un travail extraordinaire et, dans les plats, se mêlent quantités de saveurs, peut-être "naturelles" au départ, mais dont le résultat est d'une extrême complexité.
Les ingrédients sont de plus en plus luxueux, les mélanges de base fort chers et compliqués, et les combinaisons de plus en plus recherchées. On parle beaucoup de théorie dans les cuisines.
Tous les cuisiniers de l'époque sont d'accord pour faire table rase de l'encombrante cuisine des siècles précédents.

  • A la recherche de la quintessence

La recherche alchimique pour dégager ce qu'il y a de meilleur et de plus raffiné anime les cuisiniers du XVIIIe siècle.
La préface des « dons de Comus ou les délices de la table » de François Marin, écrite semble-t-il par deux frères Jésuites, est de ce point de vue particulièrement significative : « La science du cuisinier consiste à décomposer, à faire digérer et à quintessencier les viandes ; à tirer des sucs nourrissants et pourtant légers, à les mêler et à les confondre ensemble, de façon que rien ne domine et que tout se fasse sentir ; enfin, à leur donner cette union que les peintres donnent aux couleurs et à les rendre si homogènes, que de leurs diverses saveurs il résulte qu'un goût fin et piquant, et si j'ose le dire, une harmonie de tous les goûts réunis ensemble".

Le bouillon reste "l'âme des sauces"

Les mélanges de saveurs sont plus nuancés. Les câpres, les anchois, les agrumes et les parfums orientaux déclinent au profit notamment du champagne, né à cette époque. Les aromates et épices sont utilisés à des doses infinitésimales.
Vont apparaître les fumets et les essences. Les premiers peuvent être d'écrevisses, de truffes, de champignons ; les seconds, de jambon, d'ail ou d'oignons.
Les blonds ou quintessences de veau sont des jus améliorés qui, à l'instar de ceux-ci, visent à extraire le suc de la viande en la rissolant dans du beurre et en déglaçant le fond de la casserole où elle a cuit avec un bouillon corsé.
Enfin, le roux (préparation plus ou moins liquide à base de farine et de beurre) demeure l'indispensable catalyseur de tous les fonds.

  • Au menu de l'époque

Les garnitures sont plus que jamais de mise. Leur composition, comporte des produits très raffinés : foies gras, truffes, écrevisses, huîtres, morilles, ris de veau et, bien sûr, crêtes et rognons de coq, devenus incontournables.
De nouveaux plats font leur apparition au milieu du XVIIIe siècle tels les « chaud-froid », le pâté de foie gras d'Alsace, les produits d'Outre-mer notamment le sucre de canne, et en Normandie, une certaine Marie Harel, dans son village de Camembert, prépare un fromage qui fera les délices du monde entier.
L'avènement de la pomme de terre devra attendre la fin du siècle pour devenir nourriture gastronomique.
Le fruit triomphe (ananas en particulier), cru présenté en pyramide ou en corbeille.


Un des plus anciens menus connus dans le monde
dessiné en 1751 par Brain de Sainte-Marie pour Louis XV

 

C'est aussi le succès des confitures désignant compotes, gelées, fruits confits ou en pâte ainsi que de la meringue.
Le cuisinier des Lumières devient un médecin qui agit sur la santé de ses convives, en rendant la nourriture plus digeste et plus saine.
Inventer de nouvelles recettes et cuisiner devient même un passe temps aristocratique.
Le Roi Louis XV lui-même aimait à préparer des « œufs en chemise à la fanatique », du « poulet au basilic », ou encore des « pâtés aux mauviettes » (aux alouettes). La duchesse de Berry, « des filets de lapereaux à la Berry », Madame de Pompadour, « des filets de volailles à la Bellevue »...

 

C'ETAIT QUAND, AU FAIT ?

Les Rois :
. 1643 - 1715 : Louis XIV : Monarchie absolue
. 1715 - 1723 : La Régence
. 1723 - 1774 : Louis XV « Le Bien Aimé »
. 1774 - 1792 : Louis XVI
. 1789 - 1799 : La Révolution

Les Savants :
. 1714 : invention du degré Fahrenheit
. 1742 : invention du degré Celsius
. 1751 : invention d'une « machine à pétrir le pain » par Solignac
. 1778 : travaux de Lavoisier sur l'oxygène et le système métrique
. 1785 : première voie ferrée en France au Creusot
. 1791 : premier télégraphe des Frères Chappe entre Paris et Lille
. 1795 : invention de l'appertisation par Nicolas Appert


 
LES GOURMETS


- Vincent la Chapelle : officier à la Cour de Louis XV, auteur du « Cuisinier moderne »
en 1735

- François Marin : cuisinier et maître d'hôtel publie « Les Dons de Comus ou les Délices de la table » en 1739

- Menon : auteur de « les soupers de la Cour » et « La Cuisinière bourgeoise » en 1749

 

 


Antoine Parmentier
pharmacien, agronome publie des mémoires sur la culture de la pomme de terre

 

 

 



Festin donné à Paris en 1710
par le Duc d'Albe


Souper aristocrate


Le Procope :
le plus vieux restaurant de Paris

A la Cour et chez les bourgeois

Affaire d'hommes spécialisés (cuisiniers, pâtissiers, confiseurs...), cette haute cuisine se développe à la cour de Louis XIV, de Louis XV, de Louis XVI et chez les plus grands aristocrates, puis dans les riches demeures particulières.

  • Festin à la Cour

L'installation de la cour de France à Versailles vers la fin du XVIIe siècle jusqu'à la Révolution de 1789 voit l'apogée du « Grand service à la Française », du décorum et des « brigades » de serviteurs.
Le Régent, Philippe d'Orléans (ici à droite), introduit la mode des « petits soupers » et promeut le Champagne.
Louis XV est friand des « repas privés » où le choix des convives, la discrétion des domestiques (réduits au minimum), la forme de la table ronde ou ovale, l'utilisation fréquente après 1750 de services en porcelaine opposent ces soupers aux repas officiels.
Louis XVI et Marie-Antoinette inaugurent les « repas de société » auxquels sont conviés une quarantaine de personnages remarquables par leur condition ou par leur mérite. Dans la nouvelle salle à manger du Petit Appartement, on utilise alors, en alternance, un service d'orfèvrerie et le plus beau service de porcelaine réalisé à Sèvres.

  • Dîner aristocratique et bourgeois

Chez les aristocrates, la cuisine est d'un raffinement et d'un luxe extrême exigeant une main d'œuvre très spécialisée pour les menus d'apparat pouvant comporter 4 services.
Des maisons bourgeoises va émerger une cuisine dite « bourgeoise » puis « régionale » pratiquant une cuisine de compromis en simplifiant et diminuant plats et ingrédients. Aspirant à toujours plus de raffinement, la bourgeoisie va s'inspirer de l'aristocratie s'aidant d'ouvrages culinaires comme
« La Cuisinière bourgeoise » de Menon en 1746. L'aristocratie éclairée ne dédaigne pas cette cuisine bourgeoise soit par souci de santé soit sous l'influence de « nouvelles idées » par souci d'égalité. Le XVIIIe siècle voit apparaître la salle à manger dans les maisons aristocratiques et bourgeoises avec décorum, table ronde ou ovale. Vers 1750, les couverts de tables trouvent leur forme définitive.

La table accueille nombres d'ustensiles nouveaux : la louche (« cuillère à pot »), les cuillères à sel, à moutarde, à condiments, à sucre... ainsi que la saucière, le moutardier, l'huilier, le beurrier, le sucrier. La faïence commence à concurrencer l'orfèvrerie.

  • La naissance des restaurants

Le Procope, ouvert en 1674, va ouvrir la voie aux « idées nouvelles ».
Café d'artistes et d'intellectuels, il était fréquenté au XVIIIe siècle par Voltaire, Diderot et d'Alembert. Centre actif durant la Révolution française, il reste longtemps un lieu de rencontre d'écrivains et d'intellectuels (Musset, Verlaine, Anatole France), d'hommes politiques (Gambetta) et le Tout-Paris, on y sert café, thé, chocolat accompagné de pâtisseries, confitures de toutes sortes et surtout des boissons glacées et sorbets.
Devenus lieux d'information, de discussion, les cafés se multiplient pour en compter en 1721 pas moins de 300 dans Paris.
La mode des « restaurants » va naître en 1765 avec l'ouverture du « Champ d'Oiseaux » par un cafetier nommé Boulanger, une sorte de petit cabaret dans la rue des Poulies (aujourd'hui rue du Louvre), où il est servi sur table individuelle, à toute heure du jour, des bouillons, des mets délicats comme le chapon au gros sel, les biscuits du Palais Royal, fruits de saison, le fromage à la crème. Jusque-là, les auberges et les tavernes proposaient plutôt un plat sur table d'hôte, à heures fixes. N'étant pas traiteur, il n'a pas encore le droit, à cette époque, de vendre ragoût ou plat en sauce.
Il faudra attendre l'abolition des corporations des métiers de bouche en 1776 pour connaître le restaurant que nous connaissons aujourd'hui avec l'ouverture par Antoine de Beauvilliers en 1782 du premier établissement digne de ce nom.
En 1786, les « Frères Provençaux » serviront bouillabaisse et brandade de morue aux senteurs d'ail et huile d'olive.

1789 : la révolution française

La Révolution française avec l'abolition des privilèges va avoir une grande influence sur la gastronomie.
Les grands cuisiniers, jadis au service de la noblesse, doivent s'exiler avec leurs maîtres ou imaginer une reconversion en France : louer leurs services dans les « nouvelles » maisons bourgeoises, ouvrir leur propre restaurant.
Les restaurants fréquentés par les nouveaux riches de la Révolution se multiplient.
En 1781, un ancien cuisinier du prince de Condé ouvre un établissement dans un décor luxueux, vaisselle princière pour offrir une cuisine des plus recherchée.

Celui-ci propose aux clients de manger à de longues tables. Le service à table : les plats, au lieu d'être présentés sur la table au moment de l'arrivée des convives, étaient apportés de la cuisine au fur et à mesure du déroulement du repas, puis présentés individuellement à chacun.
La haute cuisine est descendu dans la rue, les grands chefs ont des restaurants, et n'importe quel citoyen fortuné peut manger comme le faisaient les grands aristocrates disparus.

Epoque enthousiaste, voire tragique, où se côtoient festins et famines, les dirigeants révolutionnaires sont souvent de fameux gourmands. Même chez les condamnés, on festoie !
Lorsque s'éloignent enfin les horreurs de la Terreur, l'on assiste à une frénésie de gourmandise et de plaisir : la France se remet à vivre.

 


Exécution de Louis XVI

 


Restaurateur des sans-culottes - 1790
Les clients mangent à de longues tables

 

Sous la double influence de la vie de cour devenue de plus en plus fastueuse, raffinée et le travail des alchimistes-cuisiniers vers la perfection, les principes de base sont posés pour permettre le développement du « grand Art de la cuisine classique française » du XIXe siècle.

 

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